Interview: Claire & James Hyman

The Hyman Collection, London


James Hyman et son épouse Claire sont des collectionneurs et commissaires d'art passionnés par la photographie depuis plusieurs décennies. Basés au Royaume-Uni, ils se sont d'abord intéressés à l'art contemporain international avant d'élargir leur collection pour y intégrer à la fois les techniques photographiques historiques et les pratiques actuelles.

La passion qu’ils éprouvent pour la photographie s’est matérialisée par la création du Centre for British Photography, un lieu destiné à accompagner des artistes venus d’horizons variés et à valoriser la photographie comme moyen de narration à la fois accessible et polyvalent. Leur démarche montre que chaque cliché – qu'il s'inspire de traditions historiques ou qu'il ouvre de nouvelles voies créatives – peut enrichir le dialogue culturel de manière large et inclusive.

Portrait de Claire & James Hyman - Courtesy by the Hyman Collection

Présentation


« Claire et moi avons commencé à collectionner de l’art international – en particulier de l’art contemporain – dès le milieu des années 1990. Au fil du temps, notre intérêt s’est progressivement porté vers la photographie, qu’il s’agisse des tirages au sel français et des négatifs sur papier des années 1840-1850, ou des œuvres d’artistes internationaux contemporains tels que Sophie Calle et Zanele Muholi.

Ces dernières années, nous avons orienté notre collection vers la photographie réalisée en Grande-Bretagne. Notre site web www.hymancollection.org présente cette facette britannique, et nous avons également fondé l’association caritative The Centre for British Photography. Celle-ci a pour mission de soutenir la photographie au Royaume-Uni au moyen d’expositions, d’événements et d’un programme de subventions permettant aux photographes de concrétiser leurs projets. Nous menons actuellement une campagne de financement afin de doter le Centre d’un lieu permanent, ce qui nous permettra d’enrichir notre programmation publique. Vous trouverez davantage d’informations sur www.britishphotography.org.

Il n’est pas nécessaire d’avoir la nationalité britannique pour bénéficier de ce soutien : vivre et travailler en Grande-Bretagne suffisent. Par ailleurs, notre mission vise à célébrer la diversité et le multiculturalisme, afin de démontrer comment la pluralité des voix, des perspectives, des histoires et des cultures profite à l’ensemble de la société. Dans le contexte post-Brexit, ce message prend une importance encore plus grande. »

Rose Finn-Kelcey, The Restless Image: a discrepancy between the seen position & the felt position, 1975 - Copyright by The Estate of Rose Finn-Kelcey

Qu’est-ce qui vous a conduit à collectionner de la photographie ?


« Nous apprécions l’accessibilité de la photographie : c’est un langage universel, compréhensible par tous, au-delà des nationalités et des cultures. L’idée européenne selon laquelle la peinture à l’huile sur toile constituerait le médium par excellence nous paraît, d’un point de vue géographique et historique, quelque peu déconcertante. De plus, l’omniprésence de la photographie impose aux artistes un défi de taille, qui renforce l’importance de la dimension conceptuelle dans leur démarche.

Il y a une quinzaine d’années, nous avons commencé à collectionner la photographie en provenance du continent africain – en rassemblant, entre autres, des œuvres de David Goldblatt, Pieter Hugo ou d’Athi Patra-Rugo – et nous avons été parmi les premiers collectionneurs à nous intéresser à Zanele Muholi dès 2010. Cependant, nous avons rapidement ressenti la nécessité, plus urgente et pertinente, de soutenir la photographie réalisée au Royaume-Uni. Nous sommes convaincus que celle-ci est encore trop souvent sous-financée et sous-estimée, tant au niveau national qu’international. »

Roshini Kempadoo, Like Gold Dust, 2019 - Copyright by Roshini Kempadoo

Quels types de photographies collectionnez-vous et y a-t-il des thèmes récurrents dans votre collection ?


« Tout le monde connaît et apprécie Bill Brandt, Chris Killip et Martin Parr, mais il existe de nombreux autres photographes documentaires extraordinaires, moins connus à l’international. Par exemple, nous avons prêté d’excellentes œuvres pour les récentes expositions de la Tate, notamment Photographing the 80s, qui a présenté des travaux de Melanie Friend, Peter Kennard, Anna Fox, Ken Grant, Colin Jones, Paul Seawright et Jo Spence. Nous tenons ainsi à soutenir toutes les formes de pratique documentaire et à aider à leur reconnaissance tant nationale qu’internationale. Toutefois, le documentaire ne constitue qu’un aspect de notre collection, qui représente en réalité une partie de l’histoire de la photographie en Grande-Bretagne.

Ce qui nous intéresse particulièrement dans la pratique contemporaine, c’est le travail conceptuel – en particulier celui réalisé par des femmes. Ces œuvres, généralement axées sur des thématiques sociétales, font souvent appel à l’autoportrait, au corps et à des formes de performance. Cet aspect est central dans notre collection, qui compte des œuvres majeures de Heather Agyepong, Sophie Calle, John Coplans, Rose Finn-Kelcey, Douglas Gordon, Sunil Gupta, Susan Hiller, Zanele Muholi, Rosy Martin, Jo Spence, Paloma Tendero, entre nombreux autres. Dans la mesure du possible, nous cherchons à collectionner en profondeur en acquérant des corpus entiers et parfois même des expositions complètes. Pour nous, Jo Spence est une figure clé, une influence incroyable sur les générations futures, et nous possédons une vaste collection de son œuvre à partir de laquelle nous avons organisé trois expositions muséales.

Nous avons également entamé l’acquisition d’archives, ce qui représente un immense défi en termes de catalogage et de numérisation. Nous souhaitons que le site de notre collection serve de ressource pédagogique, c’est pourquoi nous mettons en ligne autant d’informations que possible.»

Pourriez-vous nous parler d’une œuvre particulière de votre collection ?


« Nous avons un attachement particulier pour le magnifique travail de John Blakemore. Ses photographies de paysages et de nature figurent parmi les plus grandes réalisations de la photographie britannique. Il était également un négatifiste d’exception, maîtrisant l’art de la chambre noire et teintant souvent ses tirages en noir et blanc. Nous sommes fiers de détenir la plus grande collection privée de ses photographies et de ses livres d’artiste uniques, et d’avoir collaboré avec lui sur un film en 2023. Malheureusement, il nous a quittés en janvier de cette année. L’une de ses obsessions était celle des tulipes, et l’une de ses plus grandes photographies est Tulipa, qui offre la richesse tonale et l’imagerie d’une nature morte hollandaise du XVIIe siècle. Il méritait d’être beaucoup mieux connu à l’international. Un autre de nos grands coups de cœur est The Restless Image de Rose Finn-Kelcey, un autoportrait surréaliste qui explore la différence entre ce que l’on ressent et ce que l’on voit. J’adore le fait qu’elle ressemble à un oiseau exotique et que sa robe évoque une coquille de mer ; nous avons accroché un tirage de cette œuvre chez nous depuis des années. »

John Blakemore, Tulipomania No.2, 1994 - Copyright by the Estate of John Blakemore