ELLES X PARIS PHOTO - ESTER VONPLON 

GALERIE & EDITION STEPHAN WITISCHI 

“Le regard est individuel. On voit comme on voit.”

FLÜGELSCHLAG © Ester Vonplon / Galerie & Edition Stephan Witschi

Vous considérez-vous comme une artiste visuelle ou comme une photographe ?

Je me vois comme une artiste visuelle qui utilise le médium photographique pour s’exprimer. Travailler avec la photographie est quelque chose qui a toujours été très satisfaisant pour moi, me déplacer et trouver des images. Rien d’autre ne fonctionnait de cette façon. J’ai essayé avec d’autres choses, mais ça n’a jamais été aussi satisfaisant. Par exemple, j’aimerais pouvoir jouer de la musique ou faire partie d’un groupe et être sur scène et toutes ces choses. Ce serait génial aussi, mais je suis tellement mauvaise en musique que ça ne me convient pas vraiment.

Vous avez été snowboardeuse. En quoi ce sport a-t-il influencé votre approche photographique ?

Je pense que cela a eu une grande influence sur mon travail artistique, sur ce que je produis aujourd’hui, puisque je faisais du snowboard ou du skateboard dans les années 1990. Et à cette époque, c’était plus une culture qu’un sport. Ça avait beaucoup à voir avec la musique punk rock. C’était dehors, dans les rues, on voyageait tout autour de l’Europe pour faire du skateboard… Oui, ça a eu une grande influence sur mon travail et c’est toujours le cas. Je pense que la façon dont je prends des photos est influencée par ce que j’ai fait avant et d’où je viens. C’est quelque chose qui fera toujours partie de mon travail.

Vous avez créé des herbiers, êtes allées en Arctique… Quelle est la place de la nature dans votre processus créatif ?

Je pense que je suis plus intéressée par l’utilisation du paysage, par exemple regarder un paysage ou quelque chose que l’on peut former pour travailler dessus, parce que la nature peut tout être. Tout provient de la nature. Je me considère plus comme quelqu’un qui travaille avec le paysage qui l’entoure ou en quête d’un paysage qui peut construire quelque chose dans mes images.

Pourquoi vous êtes-vous éloignée de la manière « traditionnelle » de prendre des photos ?

J’ai étudié la photographie à Berlin. J’ai eu de très bons professeurs plus âgés, des photographes allemands comme Arno Fisher et Sibylle Bergemann. Je suis très reconnaissante d’avoir eu la chance de travailler avec ces personnes, ainsi qu’avec Ute Mahler. Si au début, j’étais intéressée par le fait de raconter des histoires, comme ils le faisaient eux, et par tout le processus, je me suis ensuite éloignée de cette manière traditionnelle de prendre des photos, et j’ai commencé à vouloir aller plus loin, à laisser tout cela derrière moi et ne pas toujours être à la recherche de la vérité.

Comment l’abstraction contribue-t-elle à donner du sens à votre travail ?

Je suis en quête d’abstraction dans les images, et je cherche à les décomposer jusqu’à ce qu’il ne reste presque plus rien, pour avoir un résultat. Par exemple, j’ai fait ce travail autour du concept du blanc. Je suis allée dans les Salt Flats, aux États-Unis, j’ai pris des photos de la neige en été, ici, dans les montagnes suisses… Ce n’était que des images blanches, prises en grand format où tous les détails sont présents, mais tout ce que vous pouvez voir est fondamentalement blanc. Pourtant, au bout d’un certain temps, quand vous regardez l’œuvre de plus près, il y a autre chose que du blanc. C’est donc cela qui m’intéresse véritablement, regarder les choses de plus près, et c’est ce que représente l’abstraction pour moi. Il s’agit d’aller de plus en plus près, d’essayer de s’introduire dans des espaces, de voir quelque chose que l’on n’aurait jamais regardé au départ.

Vos séries sont nourries par les enjeux environnementaux. Vous considérez-vous comme une artiste engagée ?

Je me considère comme quelqu’un de très politisé, mais davantage dans la sphère privée que dans mon travail. Bien sûr, les enjeux environnementaux sont très importants, et font toujours partie de mon travail, mais cela vient surtout de mon lieu de vie, et de ce qui m’entoure. En vivant dans les montagnes, on est plus affecté par le dérèglement climatique, par exemple. Donc oui, mon travail est inspiré par les enjeux écologiques, mais si j’essayais de faire bouger les choses à l’aide de mon travail, je ne serais sûrement pas photographe, je deviendrais quelque chose d’autre. Parce que voyager en Arctique est sans doute l’une des choses les plus égoïstes au monde. C’est donc quelque chose qui est toujours relié à mon travail, mais pas de la bonne manière. Je préfère donner à voir ce qui disparaît, comme les glaciers qui fondent, tout comme l’Arctique…

Votre travail est également très poétique. Quelle est votre vision du réel ?

J’essaie d’ajouter à mon travail une dimension poétique. Je suis très influencée par les livres et les poèmes, c’est donc quelque chose qu’on retrouve volontiers dans mes images. Avant de me tourner vers la photographie, j’ai étudié le cinéma. Et le cinéma a toujours été très important pour moi, il est similaire à mon travail. Le fait de prendre une photo est une étape, l’autre étape est de retoucher – et je pense que ce processus est similaire à celui du cinéma. On peut raconter une histoire avec. Parfois, je prends une photo parfaite, sans défaut, et c’est celle qui ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, ce sont celles sur lesquelles je n’ai pas le contrôle, qui ont quelque chose d’« extra », que je ne peux pas ajouter moi, dont je ne suis pas consciente. C’est cet extra qu’on n’aperçoit qu’après avoir pris une photo, et qui en fait toute sa beauté. Donc si on pourrait qualifier mon travail d’onirique, je préfèrerais dire qu’il s’agit de « poésie dans l’image ».

Pensez-vous que le genre a une influence sur notre parcours ?

Je pense que c’est une question très difficile. En tant que femme photographe et artiste, oui, bien sûr. En Suisse, une étude a été réalisée l’année dernière, sur le nombre de femmes artistes qui étaient présentes dans les expositions des musées du pays, et nous étions loin d’atteindre l’égalité. C’était terrifiant. Certains musées n’avaient programmé aucune exposition de femmes artistes en un an. Donc je pense qu’on est toujours loin de l’égalité, et nous devrions nous concentrer là-dessus. Mais c’est difficile de savoir en quoi cela a influencé ma carrière. Si j’étais un homme, je n’ai aucune idée d’où j’en serais, ou si ma carrière aurait davantage avancé ou non. Mais il est temps de demander l’égalité. Je le souhaite pour ma fille. Cela ne devrait même plus être un problème… D’ici dix ou vingt ans, j’espère.

Croyez-vous qu’il existe un regard de femme ?

J’y pense depuis quelque temps ! Mais je m’interroge… Verrais-je le monde différemment si j’étais un homme ? C’est une chose à laquelle je ne peux pas vraiment répondre. En termes d’égalité, je dirais non. Nous sommes tous des êtres humains et je pense que les influences avec lesquelles nous avons grandi, ce qui a modelé notre environnement, notre intérêt sont plus importantes… Cela n’a rien à voir avec le genre. Donc non, je ne crois pas. Le regard est individuel. On voit comme on voit.

Ester Vonplon © Daniela Rensch

BIO


Née en 1980 à Castrisch, en Suisse, Ester Vonplon a étudié la photographie à Berlin avant de poursuivre son parcours à l’Université des Arts de Zurich. Aujourd’hui installée dans les Alpes, elle y développe une œuvre onirique et délicate, inspirée par le paysage et la nature qui l’entourent. Entre minimalisme et abstraction, l’artiste explore une certaine perte de contrôle à travers le médium photographique, pour construire des « poésies dans l’image ». Le travail d’Ester Vonplon a été récompensé par de nombreuses institutions, notamment le prix du Photographe Suisse en 2008, le Prix Talent du Foam en 2011 et le Manor Kunstpreis, en 2017, et a été exposé au Buendner Kunstmuseum, à FOAM (Amsterdam), ou encore aux Rencontres d’Arles. Il fait également partie des collections du Musée d’Art contemporain de Zurich, du Museum Allerheiligen Schaffhausen et de Mezzanin Art Foundation Schaan.

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