ELLES X PARIS PHOTO - ANNEGRET SOLTAU 

GALERIE ANITA BECKERS 

“Il n’existe pas de séparation entre l’art, la vie et les femmes.”

© Annegret Soltau / Galerie Anita Beckers

Qu’est-ce qui vous a amenée à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ? 

Je travaille avec le medium photographique et me définis comme une artiste visuelle. Dans les années 1960 et 1970, j’ai étudié la peinture et le graphisme aux Académies d’art d’Hambourg et de Vienne. Puis, au milieu des années 1970, j’ai découvert la photographie à travers mes performances appelées Permanent demonstration. C’est ainsi que l’autoportrait est devenu ma source d’inspiration. Comme pour le graphisme, j’utilisais le fil à la manière d’une ligne, que je reliais à la photographie – je cousais sur le papier photo à l’aide d’un fil noir. Peu de temps après, j’ai commencé à déchirer ce papier (qui représentait mon portrait, ou mon corps) pour le réassembler sous une forme différente. C’est également à cette période que mes “photographies surpiquées et cousues”, comme je les appelle, ont été créées. En parallèle, j’ai aussi développé une autre technique en lien avec l’image : la photo gravure, elle aussi liée aux images qui représentent mon portrait, ma silhouette ou mon corps. Je griffe le négatif à l’aide d’une aiguille jusqu’à ce qu’il soit complètement détruit. Des dommages réalisés au cœur de la chambre noire. Le résultat ? Des séquences, des suites, ou même de larges tableaux réalisés à partir de centaines de tirages argentiques, que j’ai moi-même développés.

Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ?

Les différents sujets sur lesquels j’ai travaillé proviennent d’un état d’esprit précis, adopté à un moment donné de ma vie. Dans les années 1970, c’était le “moi” qui m’intéressait. La réflexion, l’analyse de ma propre expérience en tant que femme dans la société. À l’époque, les femmes voulaient sortir de leurs rôles assignés, et, en tant qu’artistes, nous nous sommes distancées des techniques traditionnelles. Nous avons découvert notre corps et appris à travailler directement avec lui, dans des performances, vidéos ou photographies.

Le thème de la grossesse est devenu un des sujets principaux de mon œuvre. Je souhaitais illustrer les conflits existants entre le statut d’artiste et celui de mère. J’ai réalisé un grand nombre de photos et de vidéos représentant mon corps changeant, jusqu’à l’accouchement, et j’ai également cousu les photographies de mes deux enfants. La métamorphose est devenue mon sujet de prédilection – celle d’un corps qui vieillit, qui change. Une croissance symbolisée par plusieurs figures féminines, de ma fille à son arrière-grand-mère.

Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ?

Oui, tout à fait. J’explore de manière consciente le rôle des femmes dans l’art depuis les années 1970. Le slogan “Le privé est politique” (utilisé dans le cadre des mouvements de libération des femmes à partir des années 1960, Ndlr) a forgé mon travail. J’ai fondé un groupe de femmes artistes à Darmstadt, où j’habite, qui s’est ensuite étendu à Francfort. Nous nous sommes divisées en deux groupes. Avec l’un des groupes, nous nous réunissions le soir, dans plusieurs studios, pour montrer et discuter ensemble de nos œuvres. Et avec le second, nous présentions chacune, à tour de rôle, une artiste historique. À cette époque, nous ne connaissions que Käthe Kollwitz et Paula Modersohn Becker. Durant ces réunions, nous avons découvert Frida Kahlo, qui devenait populaire au sein des mouvements féministes. Nous avons ainsi enfin pu découvrir l’histoire de l’art d’un point de vue féminin. Cela nous a donné une impulsion énorme et nous a prouvé que les enjeux féministes pouvaient aussi avoir une certaine pertinence.

Est-ce que votre statut de femme a/a eu une influence sur votre statut d’artiste ?

Pour moi, il n’existe pas de séparation entre l’art, la vie et les femmes. Dans les années 1970, de petites galeries, dites de producteurs, sont nées, et ne représentaient que des artistes femmes. L’une d’entre elles s’appelait Andere Zeichen. Women + Art a également été fondée à Berlin. J’y ai organisé une exposition, en 1979 et présenté Begegnung-Überlagerung-Eingriff, un projet au cœur duquel nous présentions, une amie et moi, le processus complexe d’apprendre à se connaître. Ce travail avait été réalisé en 1977 à l’occasion de la toute première exposition 100 % féminine du Hessisches Landesmuseum de Darmstadt. En créant deux rangées, nous avons chacune accroché les documents qui résumaient nos vies, comme des rubans sur des murs opposés, qui ont convergé dans une performance alliant couture et photos de passeport agrandies à taille réelle.

Vivez-vous de votre art ? 

Oui. J’ai toujours été free-lance. Dès mes débuts, des galeries ont souhaité représenter mon travail. J’ai participé à des expositions collectives à partir de 1972 et mon premier solo show a eu lieu en 1974, il contenait des dessins et gravures. Si je vends peu, je n’ai pas besoin de beaucoup pour vivre, l’essentiel est suffisant. Seul mon art m’importe.

Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?

Oui, bien sûr ! Mais ces inspirations changent en fonction des phases de ma vie et de mon travail. Lorsque j’étais plus jeune, j’étais principalement influencée par des artistes hommes. Mais, après mes études, et grâce aux mouvements féministes, de plus en plus de créatrices ont été mises en avant, et cela a été une révélation.

Aujourd’hui, grâce à mon expérience professionnelle, j’arrive mieux à cerner ce que je veux réaliser, et je ne ressens plus le besoin d’avoir des modèles. Je suis toujours heureuse que de grandes artistes soient découvertes, des femmes qui avaient travaillé plusieurs générations avant moi, et de qui je n’avais encore jamais entendu parler jusqu’alors.

Annegret Soltau

BIO


Née à Lüneburg, en Allemagne, en 1946, Annegret Soltau est l’un des piliers du développement de l’art expérimental et performatif des années 1970 et 1980. Elle a également joué un rôle important dans le développement de l’art féministe de cette même période. La photographe a étudié la peinture et le graphisme aux Académies d’art d’Hambourg et de Vienne, avant de se spécialiser dans l’assemblage de photographies. En 1977, elle participe à la première exposition 100% féminine de Darmstadt, et en 2007, son œuvre fait partie de Wack! Art and the Feminist Revolution, un événement examinant les fondations et l’héritage de l’art féminin, au Musée d’art contemporain de Los Angeles. Expérimental, son travail s’inscrit dans un processus de réflexion, et cherche à réunir le conscient et l’inconscient.

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