ELLES X PARIS PHOTO - VALÉRIE JOUVE

GALERIE XIPPAS

“Juger par le prisme du genre peut nous faire aller à l’encontre de ce que nous voulons défendre.”

Comment en êtes-vous venue à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ? 

J’ai commencé la photographie pendant mes études d’anthropologie (niveau maîtrise). L’image m’a ensuite intéressée comme outil de réflexion sur nos sociétés, et j’ai décidé d’arrêter mes études à l’université pour intégrer l’École de photographie à Arles. Je me sens beaucoup plus photographe qu’artiste, cette dénomination est plutôt venue de l’extérieur, du monde de l’art, lorsque j’ai commencé à montrer mon travail. Au début, j’avais des difficultés à me présenter comme artiste.

Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ? 

Depuis le début, j’utilise le 8e art pour penser le monde. Petit à petit, j’ai développé un travail qui tente de rendre visuellement possible les mondes utopiques. Je pense que certaines images peuvent encore nourrir nos imaginaires autrement qu’avec des désirs de consommation ! Et selon moi, nos images sont encore plus importantes aujourd’hui pour contrer les idéologies dominantes qui ne demandent qu’à faire marcher un système pour le grand capital, au détriment des peuples.

Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ? 

Je n’ai jamais aimé les dénominations trop étroites, certains hommes sont très féminins, et l’inverse est aussi possible ! Je ne sens pas un regard féminin dans les photographes femmes que j’aime. Je me sens proche de certains regards, qu’ils soient féminins ou masculins. Juger par le prisme du genre peut nous faire aller à l’encontre de ce que nous voulons défendre. Cela me fait peur de donner des dénominations si restreintes. Et puis, d’ailleurs, qu’est-ce qu’un regard de femme ?

Votre statut de femme a-t-il, ou a-t-il eu, une influence sur votre statut d’artiste ? 

Je n’ai pas trop souffert de réflexions ou remarques de ce genre. Il n’empêche que les femmes photographes vendent en général moins que les hommes, et nous sommes moins montrées. C’est pourquoi la programmation du Jeu de Paume (remarquée par la presse internationale) a changé de paradigme. L’institution s’est appliquée à montrer régulièrement des artistes femmes.

Vivez-vous de votre art ? 

Non, j’enseigne dans une école d’architecture. C’est aussi par choix. Je ne veux pas courir après les collectionneurs ou les institutions pour vendre. Et je sais depuis longtemps que la nature de mon travail n’est pas très vendeuse. C’est une photographie assez sociale qui ne “s’amène” pas comme des objets d’art ni comme une lumière “artistique”. Certains disent aimer mon travail et le respecter sans pour autant pouvoir vivre avec. J’entends cela.

Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?

Beaucoup de photographes ne sont pas contemporains. C’est très dur d’avoir le recul nécessaire. Bien sûr qu’il y a des femmes photographes parmi lesquelles Diane Arbus, Dorothea Lange, Germaine Krull.  Il y a aussi Lewis Hine, Paul Strand et surtout Walker Evans. Et puis, il n’y a pas que des photographes qui influencent le travail d’un photographe. Par exemple, les primitifs italiens ont beaucoup nourri mon travail. Henri Lefebvre, Dostoïevski également et plus largement, la vie de tous les jours, l’actualité… Tout influence mon travail !

Valérie Jouve © Rana Mosa Abu Kharbeesh

BIO


Née en 1964 à Saint-Étienne, Valérie Jouve vit et travaille aujourd’hui à Paris. Diplômée de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, l’artiste parcourt inlassablement la ville à la recherche de ses habitants. Influencée par la photographie documentaire, elle capture des situations, des paysages, des personnages, et interroge nos habitudes de perception, faisant dialoguer le corps humain et celui de la ville. Lauréate du prix Niépce des Gens d’Image (2013) et sacrée chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres (2011), Valérie Jouve a exposé ses œuvres en France (Paris, Arles, Lyon) comme à l’étranger (Genève, La Corogne, Stockholm). Son travail fait partie de nombreuses collections publiques (Fonds régional d’art contemporain d’Alsace, d’Aquitaine, d’Île-de-France, Fotomuseum Winterthur de Suisse, Stedeljikmuseum d’Amsterdam…).

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