ELLES X PARIS PHOTO - MARYAM FIRUZI 

SILK ROAD ART GALLERY 

“Une femme du Moyen-Orient doit se battre énormément pour devenir artiste.”

Vous avez d’abord étudié le cinéma. Pourquoi vous êtes-vous dirigée vers la photographie ?

Je n’avais jamais pensé à devenir photographe. J’ai dû développer et exposer des photos pour mes projets étudiants en parallèle de ma pratique cinématographique (écriture et réalisation de films). L’idée de ma première série photographique, Reading for Tehran Streets, m’est venue lorsque je travaillais sur ma thèse, intitulée Self-reflexivity in Cinema. J’étais alors fascinée par la théorie de l’introspection en tant que moyen de narration et de transmission des idées. En partant de ce postulat, j’ai commencé à développer mes idées dans une série de huit photos et, pendant un an, je les ai shootées séparément. C’était comme si je réalisais huit courts-métrages, chacun dans un seul cadre. Dès lors, je me suis consacrée à l’art conceptuel et à la photographie mise en scène.

Peinture, écriture, calligraphie, réalisation… En quoi ces différents médiums influencent-ils votre travail photographique ?

J’ai commencé la calligraphie parce que mon père m’y a forcée, à l’âge de sept ans. Après dix années de pratique continue, j’ai obtenu un master à la Société de calligraphie d’Iran. Les nombreuses lois de la calligraphie iranienne me paraissaient épuisantes, lorsque j’étais petite. Et, durant ces années, la peinture est devenue un refuge, qui m’éloignait de ces contraintes. Si les limites de la calligraphie m’ennuyaient, la peinture me libérait. Lorsque j’ai commencé mes études de cinéma, j’ai arrêté ces deux pratiques. Le film m’a aidé à atteindre un autre niveau de créativité, qui combinait d’autres formes d’art.

Je suis convaincue que tous les médiums sont liés les uns les autres. Ma pratique photographique est influencée par toutes ces formes d’art, de différentes manières. La calligraphie m’a appris la discipline, et le dévouement. La peinture, la liberté d’expression, et la littérature, la bonne manière de développer et d’articuler mes idées.

La culture et la tradition sont des thèmes récurrents dans votre œuvre. Quel est le lien entre vos origines iraniennes et votre œuvre ?

J’ai grandi dans une famille de classe moyenne, cultivée. J’ai eu de la chance, étant enfant, surtout lorsqu’on prend en compte le climat de crise de mon pays. En Iran, les valeurs apprises à la maison sont différentes de celles enseignées à l’école. L’enseignement contradictoire est une des caractéristiques de l’éducation iranienne dispensée aux enfants. Même l’histoire contemporaine du pays est racontée différemment. C’est comme si deux mondes parallèles évoluaient côte à côte.

J’ai eu la chance de voir ces éducations contradictoires comme une opportunité. L’opportunité de ne pas croire tout ce qui se présente à moi, mais de regarder au bon endroit et de poser les bonnes questions au moment opportun. Les concepts et thèmes que j’explore dans mon travail sont abordés à travers le regard d’une petite fille qui poserait une question interdite à son professeur – une question sur un sujet qui est discuté librement chez elle. J’espère pouvoir, grâce à mes créations, fissurer les murs qui se tiennent entre ces deux mondes.

Comment mettez-vous en scène la notion d’héritage ?

Celle-ci est tellement ancrée en moi que je n’essaie pas consciemment de la mettre en scène, pour la préserver. Par exemple, l’un des héritages les plus importants de l’Iran est la poésie. La poésie classique fait partie de nos vies, peu importe notre éducation. La poésie perse est connue pour être complexe et être sujette à de nombreuses interprétations. Sa sémiologie, son symbolisme, son esthétique sont de grandes sources d’inspiration, et ces éléments s’adaptent très bien à toutes formes d’art.

D’un autre côté, lorsque je fais référence à des enjeux contemporains iraniens, j’essaie toujours de l’étudier sous un autre aspect. Je pense que je ne peux être une grande admiratrice de mon héritage iranien que si je parviens à être très critique envers lui.

Vous avez travaillé sur les cheveux, et le port du voile. Le fait d’être une femme a-t-il influencé votre travail ?

La notion de genre a toujours été présente dans mon travail. Parfois, elle est au cœur d’un concept – comme c’est le cas dans les séries Concealment et Good. D’autres fois, elle apparaît en trame de fond, comme pour Reading for Tehran Streets, ou même dans mes courts-métrages. Dans mon pays, où le genre est un sujet sensible, dans toutes les strates de la société, est-il possible de ne pas penser à son statut de femme dans notre travail ? La présence du genre est tellement importante, que j’ai parfois peur d’être « forcée » à penser comme une femme, à créer des œuvres qui ne touchent que les femmes. Cela dit, je n’ai toujours pas l’impression de me connaître en tant que femme, car je n’ai jamais été autorisée à exprimer qui j’étais vraiment. Par conséquent, je continue à explorer la notion de genre dans mon travail.

Avez-vous déjà dû faire face à des préjugés en raison de vos choix de sujets ?

Bien sûr, à maintes reprises, et à des degrés divers. Même le fait de remporter un prix international a suscité des critiques à mon égard et des discussions sur mon travail – avec une interprétation intentionnellement erronée. Bien que toutes mes photos aient été exposées en Iran, mes sujets peuvent faire peur. Ce qui m’a poussée à me limiter pour éviter toute forme de restriction. Je pense également que la censure est semblable aux préjugés. Elle fait partie du quotidien de ma génération. Et comme elle exige un plus grand effort de création de la part des artistes, elle pourrait conduire à une manière plus créative et unique d’exprimer des sentiments et des idées.

Pensez-vous que le genre est un sujet important pour les femmes artistes du Moyen-Orient ?

Une femme du Moyen-Orient doit se battre énormément pour devenir artiste. Certaines barrières sont liées au genre et à la vision patriarcale de notre société. Cette phrase peut sembler cliché, mais c’est la vérité. Je crois que l’art naît de la souffrance humaine. Il n’est donc pas surprenant que la place des femmes soit un sujet populaire parmi les femmes artistes du Moyen-Orient.

Maryam Firuzi

BIO


Née en 1986, l’artiste iranienne Maryam Firuzi travaille et vit à Téhéran. Bien qu’elle ait suivi une formation universitaire en cinéma, elle travaille également avec le médium photographique. Sa première série, Reading for Tehran Streets, puise dans différentes formes d’art, de la narration cinématographique à la poésie persane, en passant par la peinture. Cette collection, outre une visibilité internationale, a reçu le prix Alfred Fried pour la paix en septembre 2018. De même, son dernier court-métrage, The Provisional Death of Bees, a été sélectionné par une douzaine de festivals de cinéma. Axées sur des thèmes tels que la crise culturelle, les questions de genre et les problèmes d’identité, ses créations sont l’expression d’une introspection. Son travail a été présenté dans plusieurs expositions et festivals, notamment au Musée de l’artisanat Art & Folk aux États-Unis ; au festival de photographie de portrait KLMP à Kuala Lumpur ; au musée national de Tirana en Albanie, et à l’exposition itinérante de l’IWPA dans des villes comme Dubaï, Beyrouth, Amman, Paris, Singapour, Marseille et Rome.

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