ELLES X PARIS PHOTO - IRA LOMBARDÍA

GALERÍA ALARCÓN CRIADO 

“Pour moi, la photo n’est pas un simple contenu visuel, elle est bien plus.”  

Comment en êtes-vous venue à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ? 

Mes débuts avec le médium photographique étaient assez amateurs. Comme beaucoup d’entre nous, j’ai découvert la photo chez moi. Je possédais à l’époque un boîtier en jouet, et j’adorais m’amuser avec. Si je ne pouvais rien shooter, j’étais tout de même déjà intéressée par l’acte. Mon père possédait quelques appareils. Je conserve encore aujourd’hui un vieux boîtier Polaroid, ainsi que l’un des premiers appareils photo Sony numériques vendus sur le marché. J’ai décidé de commencer à pratiquer de manière naturelle. À l’université, je me suis renseignée sur ce médium et j’ai commencé par photographier ma famille et mes amis. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je travaillerais dans un domaine lié à l’art ou à la photographie… C’est donc pour cela que je ne me considère pas comme une photographe. Quitte à choisir, je suis plus à l’aise avec l’étiquette “artiste visuelle”.

Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ?

Je prends très peu de photos. Cela ne m’intéresse pas. Je suis davantage fascinée par la manière dont les images sont produites, distribuées, consommées, par les dynamiques, les flux, les dimensions invisibles. J’aime aussi étudier les images qui fonctionnent en groupe, comme des amas. J’observe les espaces, les interstices entre elles.

En 2012, j’ai fait le choix de supprimer toutes les images de mon site Internet et de démarrer une grève visuelle. Pendant 1 000 jours, les visiteurs n’ont trouvé qu’un texte sur mon site, expliquant cette disparition. Cette volonté de ne partager aucun cliché m’a donné l’opportunité de mieux comprendre ma production photographique, de la voir sous un nouveau jour. Depuis, je m’intéresse à tous les faits qui entourent le 8e art et qui n’appartiennent pas à l’image elle-même. Pour moi, la photo n’est pas un simple contenu visuel, elle est bien plus. J’aimerais documenter l’idée de dématérialisation, interroger les enjeux liés à nos habitudes contemporaines les plus emblématiques et comprendre l’impact de l’appropriation de l’esthétique des années 1970 dans la culture visuelle populaire.

Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ?

Je sais que ce terme peut être considéré comme controversé. En tant que femme, être définie par son genre peut sembler réducteur. Beaucoup préfèrent être remarquées pour leur travail plutôt que parce qu’elles sont femmes. Si je comprends cette réaction, en tant qu’artiste, je me sens assez à l’aise avec l’idée du “regard de femme”. Beaucoup d’artistes féminines sont devenues populaires depuis la naissance de ces critiques post-modernes et leurs travaux critiquent justement le “regard d’homme”. Des artistes comme Barbara Kruger, Martha Rosler ou encore Sherrie Levine ont recourt à l’appropriation pour nous montrer des images sous un nouvel angle, elles nous invitent ainsi à questionner ces images, et leur impact sur l’histoire de l’art est énorme. Je suis reconnaissante de ce “regard de femme”.

Votre statut de femme a-t-il, ou a-t-il eu, une influence sur votre statut d’artiste ? 

Je n’en suis pas sûre. Je ne sais pas ce qu’il se passerait si je m’identifiais à un autre genre. C’est une bonne question… Je trouve toujours étrange de devoir indiquer si je suis une femme ou un homme lorsque je participe à un concours artistique. Cela a-t-il vraiment une importance ? Y a-t-il seulement deux options ? Pourquoi exigent-ils toujours ce renseignement ? Ces interrogations répondent sûrement à votre question.

Vivez-vous de votre art ? 

Aujourd’hui, oui. L’équilibre entre l’université et ma pratique artistique me convient – je suis également instructrice adjointe à l’université de Syracuse, à New York. Cela dit, je n’ai pas gagné d’argent grâce à ma création avant mes 40 ans. Travailler avec la galerie Alarcon Criado a changé beaucoup de choses. Être une artiste est une carrière à prévoir sur le long terme… Je ne connais aucun créateur qui a décidé d’en faire son métier en espérant s’enrichir. Nous le faisons pour d’autres raisons et cela comprend d’importants sacrifices. Nous sommes les derniers romantiques de l’ère capitaliste !

Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?

Dans mon travail, je cite, utilise et repense beaucoup d’œuvres de différents artistes… La liste est très longue ! Il est vrai que beaucoup de femmes artistes sont fondamentales dans mon processus créatif. En plus de celles que j’ai déjà citées, j’ajouterais Dora Maar, Yoko Ono, Mierle Laderman Ukeles, Concha Jerez, Hito Steyerl et Isa Genzken. Des hommes, également : Marcel Duchamp, John Baldessari, Joan Fontcuberta et Nacho Criado. Enfin, d’importantes théoriciennes, telles que Lucy Lippard, Rosalind Krauss, Susan Sontag et Rosi Braidotti ont considérablement influencé mon travail. L’art et les théories d’autres auteurs m’inspirent constamment. J’adore être une spectatrice, une lectrice.

Ira Lombardia

BIO


Artiste et chercheuse, Ira Lombardia (née dans la principauté des Asturies, en Espagne, en 1977) travaille avec différents médias – la photographie, la vidéo, le design graphique et la sculpture – et interroge les dynamiques et rhétoriques présentes dans l’art contemporain. Exposée aux quatre coins du monde, du Royaume-Uni aux États-Unis en passant par l’Italie, et récompensée par plusieurs prix photographiques (le prix international UCO-LaFragua, ou encore la bourse PICE), l’auteure s’attache à réaliser des œuvres aussi concrètes que théoriques, et à étudier les “transformations du modèle post-moderne au contact de la culture visuelle numérique”. Ira Lombardia enseigne également au département des transmédias, à la Faculté des arts visuels et performatifs de Syracuse.

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