ELLES X PARIS PHOTO - DELPHINE DIALLO 

FISHEYE GALLERY 

“Je m’engage à déconstruire le monde patriarcal de la photographie, et son obsession de la femme exotique noire et objet.”

Comment en êtes-vous venue à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ? 

J’ai toujours adoré la photographie. Ma mère, peintre, était passionnée par le médium, et possédait des boîtiers manuels Nikon. Je la trouvais très douée. Puis, durant mes études en communication visuelle à l’École Charpentier de Paris, j’ai découvert la chambre noire, et les cours de photo. J’étais fascinée par ce contrôle : prendre la photo, la développer, faire partie de la chimie, et voir l’image apparaître. Je suis ensuite devenue graphiste et directrice artistique, et j’ai eu la chance de rencontrer celui qui est devenu mon mentor, Peter Beard, grâce à qui j’ai commencé à croire en ma photo, en mon potentiel.

Si je voulais au départ faire de la production, travailler au sein d’une équipe créative, je me suis rendu compte qu’il y avait des limites à ce domaine, et le médium photographique est apparu comme un éveil : je n’avais besoin de personne pour créer. Cela m’a donné une indépendance, la faculté de projeter mon futur en tant que femme indépendante.

Aujourd’hui, je me définis comme photographe et artiste visuelle.

Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ? 

Dans mon travail, je mets en lumière un manque de représentation de la femme noire dans la société occidentale. Je souhaite mettre en valeur une autre idée de la beauté de la femme noire, avec dignité, élégance, spiritualité et intégrité. Je m’engage également à déconstruire le monde patriarcal de la photographie, et son obsession de la femme exotique noire et objet. Enfin, j’ouvre une discussion à des formes de représentations différentes, respectant des valeurs éthiques et morales envers le corps de la femme noire.

Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ? 

Il faut savoir que ces notions de “regards d’hommes et de femmes” n’étaient pas utilisées dans le milieu avant. Aujourd’hui encore, des gens résistent, ne veulent pas comprendre ce qu’ils signifient. Je suis convaincue que ces regards devraient être enseignés lorsqu’on apprend la photographie. Mais celle-ci représente 85 % de “regard d’homme”. Les femmes photographes n’en parlent pas, car elles ne réalisent pas que cela influence leur travail – si elles ne se remettent pas en question. On peut, par exemple, être une femme photographe et utiliser le “male gaze” dans ses créations.

Il est difficile d’expliquer cette notion, car il faut prendre en compte le fait que l’homme a grandi dans une société patriarcale, machiste, et que son énergie et sa vision du monde ne sont pas si universelles qu’on peut le penser. L’homme a créé un modèle, un moule pour notre société, et inconsciemment ou non, il s’est enrichi grâce à ce regard d’homme – en shootant des femmes comme des objets.

Dans mes images, lorsque je m’expose nue, il y a toujours une raison, toujours une dimension spirituelle et traditionnelle. Mon corps devient un outil de fonction première. Il est nécessaire que la nouvelle génération d’artistes féminines prenne conscience qu’elle a l’opportunité de créer ce regard de femme. J’en suis l’un des prototypes mais pleins d’autres, bien différents, vont me succéder. Je suis ravie que la photographie contemporaine transcende enfin cette histoire de regard, qu’elle comprenne qu’il n’y a rien à copier du passé.

Votre statut de femme a-t-il, ou a-il-eu, une influence sur votre statut d’artiste ? 

Oui, complètement. Le monde de l’art s’est transformé, a ouvert ses portes à un plus grand nombre de femmes artistes, afin de créer de nouvelles histoires, de nouvelles projections d’idées, afin de visualiser les femmes du futur.

En tant que femme – et femme noire – je suis très consciente du conditionnement socioculturel qui va déterminer mon “statut” dans la société. Je sais qu’il y a énormément de travail à faire sur nous, et qu’il nous faut discuter entre femmes.

Vivez-vous de votre art ? 

Oui, depuis neuf ans maintenant. Je suis arrivée à New York avec l’envie de ne plus travailler dans les maisons de production. J’ai donc dû abandonner mes opportunités en France, et je suis devenue serveuse dans un restaurant. J’ai “acheté mon temps”, car ce boulot me permettait d’avoir 3 à 4 jours libres par semaine pour créer. Je payais mon loyer avec mes pourboires et développait mon œuvre le reste du temps. J’ai tenu ce rythme pendant un an et demi. Il fallait une vraie détermination, mais cette expérience m’a appris, entre autres, à lire, à analyser les gens.

J’ai ensuite eu l’occasion de travailler pour Nike, pour photographier le basketball de rue – mon premier travail commercial, il y a neuf ans. Nike est quasi la seule société dans l’industrie qui cherche à soutenir les photographes noirs. Cette opportunité n’aurait jamais eu lieu en France ! Aujourd’hui, j’alterne toujours entre commandes et œuvres personnelles. Il faut savoir que je n’ai jamais obtenu de bourse ni de prix, mon travail commercial finance donc mon art.

Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?

J’ai une librairie entière d’inspiration ! Je peux citer quelques auteurs dont je suis vraiment fan, et de qui je m’entoure chaque jour :

Joseph Campbell, et son excellent comparatif de mythologie. Son œuvre m’a aidée à sortir du conditionnement de la société, de l’aliénation liée à l’ethnocentrisme, même inconscient.

Jiddu Krishnamurti, que j’adore aussi. Il est l’un des seuls à avoir la faculté d’aider l’observateur à changer de point de vue au fur et à mesure, lorsqu’il discute de culture avec d’autres intellectuels. C’est un véritable maître.

J’aime aussi beaucoup lire des ouvrages traitant de l’univers. Stephen Hawkins est une référence. Et bien sûr Frantz Fanon, pour les auteurs noirs de la diaspora, il est exceptionnel.

Concernant les femmes photographes, je suis inspirée par le travail documentaire de Malin Fezehai, dont le “regard de femme” est un modèle à suivre. Il y a beaucoup de douceur, d’amour, de spiritualité et de références au divin dans son œuvre. La photographe espagnole Camilla Falquez, quant à elle, fait partie de la jeune génération. C’est une guerrière, obsédée par l’esthétique et la beauté de la femme, qu’elle encense dans son travail. Elle n’est qu’au début de sa carrière, mais on sent déjà l’amour qu’elle porte à ses pairs.

Delphine Diallo

BIO



Artiste visuelle et photographe franco-sénégalaise, Delphine Diallo vit aujourd’hui à Brooklyn, à New York. Diplômée de l’Académie Charpentier à Paris, elle a travaillé en tant que graphiste et directrice artistique avant de se tourner vers le medium photographique. Épaulée par le célèbre artiste Peter Beard, Delphine Diallo devient son assistante sur le calendrier Pirelli 2009. Elle a été exposée à de nombreuses reprises aux États-Unis et a signé son premier solo show en France à Arles, en 2018. Utilisant le numérique, l’argentique, le collage, l’illustration ou encore l’impression 3D, l’auteure voit l’art “comme un accès à l’illumination, la sagesse, la peur, la beauté, la laideur, le mystère, la foi, la force et l’intrépidité”. Au cœur de ses œuvres ? Les femmes noires, qu’elle souhaite représenter “avec dignité, élégance et intégrité”.

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