ELLES X PARIS PHOTO - CHARLOTTE ABRAMOW 

FISHEYE GALLERY

“Je suis depuis toujours révoltée par les injustices, en particulier à l’encontre des femmes.”

Comment en êtes-vous venue à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ? 

J’ai toujours aimé observer et imaginer. J’ai reçu un appareil photo jetable à l’âge de 7 ans. Je photographiais mes amies pendant les récréations à l’école ou mes parents à la maison. Un jour d’été, à l’âge de 13 ans, alors que je m’ennuyais terriblement, j’ai retrouvé un petit appareil photo numérique que l’on m’avait offert. J’ai commencé à photographier des fleurs, des chats, puis mes amies, et moi… Une révélation immédiate. Mon obsession pour la photographie s’est consolidée trois ans plus tard lorsque je réalisais mes propres shootings – je maquillais, j’habillais et je dirigeais les filles qui m’inspiraient. L’habitude fait que je me définis comme photographe, mais ma pratique réunissant direction artistique, photographie, et réalisation, je pense que le terme “artiste visuelle” serait plus approprié. L’image est un médium puissant et c’est à travers lui que je m’exprime.

Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ? 

Je suis depuis toujours révoltée par les injustices, en particulier à l’encontre des femmes. Et ce, avant même de comprendre le mot féminisme et d’essayer de connaître les tenants et aboutissants politiques de ces inégalités.

Dans notre société faite d’images, les photos ont un vrai pouvoir d’influence et peuvent être de petites graines plantées en nous, positives comme négatives.

Il m’est important de représenter les femmes et les minorités. J’ai recours à plusieurs astuces poétiques – l’humour, la mise en scène, l’absurde, le surréalisme, l’onirisme – pour soulever des questions que je me pose, révéler des problématiques, et déconstruire des tabous et des stéréotypes qui entravent la vie intime de beaucoup d’entre nous. Selon moi, l’intime et le politique sont liés, et l’image peut montrer comment un vécu personnel peut s’avérer collectif. L’image peut laisser place aux réalités concrètes ou fantasmées, c’est une lampe torche inventive braquée sur un sujet.

Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ? 

Oui. À la naissance, notre genre nous est assigné en fonction de ce qu’on identifie entre nos jambes. Dès ma naissance, on s’est adressé à moi comme à une fille et on m’a éduquée comme telle.

Le genre est majoritairement une construction sociale, avec des stéréotypes de comportements et de traits de caractère. Je pense qu’il existe un regard féminin puisque notre regard traduit notre vécu — c’est-à-dire ce que signifie être et être perçue comme femme. Ce sont nos expériences féminines que l’on veut raconter à travers un regard féminin. L’art, entre autres, ayant été majoritairement créé par des hommes pour des hommes, nous avons, en tant que femmes, beaucoup intériorisé ces représentations. Il est donc indispensable d’apporter de la visibilité à de nouvelles représentations et d’élargir le champ des possibles. Il ne faut jamais oublier qu’un point de vue s’inscrit toujours dans un contexte, il en va de même pour une œuvre d’art et un ou une artiste.

Votre statut de femme a-t-il, ou a-il-eu, une influence sur votre statut d’artiste ? 

La condition féminine est surement la thématique la plus importante dans mon travail. Forcément, l’artiste est toujours influencé par son vécu et par son parcours. Être une femme fait partie de mon vécu et me fait vivre la vie d’une certaine manière. Cela se ressent forcément dans ce que je raconte à travers mes images. Il y a toujours eu des femmes artistes, mais elles ont toujours été plus invisibles que les hommes. Il faut donc parfois se battre contre les stéréotypes classiques associés aux femmes : leurs (in)capacités, leurs ambitions, leurs indépendances…

Vivez-vous de votre art ? 

Ayant commencé la photographie très tôt et dans de bonnes conditions, j’ai la chance d’en vivre depuis quelques années. Je sais que ce n’est pas le cas de tous les passionnés. Je suis très heureuse de pouvoir bénéficier de ce privilège, et j’espère que la crise que l’on traverse me permettra de poursuivre mon chemin.

Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?

Magritte, Sophie Calle, Laia Abril, Harley Weir, Rania Matar, Agnès Varda, Frida Khalo, Nadine Ijewere, Prue Stent & Honey Long,..

Charlotte Abramow

BIO

Née en Belgique en 1993, Charlotte Abramow s’intéresse dès son plus jeune âge au 8e art. Sa rencontre avec Paolo Roversi aux Rencontres d’Arles, alors qu’elle a 16 ans, la marque profondément et, en 2013, elle s’installe à Paris pour étudier à Gobelins, l’École de l’Image. Récompensée pour son travail photographique (Prix Picto de la mode en 2014, finaliste du Photo Folio Review Awards des Rencontres d’Arles en 2015, finaliste du Prix Nadar en 2019), elle s’essaie à la vidéo et signe plusieurs clips de la chanteuse belge Angèle, ainsi que Les Passantes de Georges Brassens. En novembre 2018, elle publie son premier livre, Maurice, Tristesse et Rigolade et conçoit, en 2020, Le Petit Manuel Sex Education pour Netflix. Suivie par plus de 200 000 abonnés sur Instagram, la jeune photographe s’attache à déconstruire les notions de genre, de beauté, et à raconter l’humain de manière poétique et humoristique.