ELLES X PARIS PHOTO - BERTIEN VAN MANEN 

IN CAMERA GALERIE

“Il est plus facile pour une femme d’approcher les gens, de gagner leur confiance.”

Qu’est-ce qui vous a amenée à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ? 

En tant que mannequin travaillant dans le domaine de la mode, j’ai eu envie d’inverser les rôles. Je souhaitais me tenir derrière l’appareil photo plutôt que devant – ce que je trouvais plutôt ennuyeux.

J’ai donc passé le cap et je suis devenue photographe. Avant cela, je prenais déjà des photos de mes enfants. Certaines d’entre elles avaient été publiées en 2016, dans un ouvrage appelé Easter and Oak Trees, publié aux éditions MACK, à Londres.

Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ?

J’ai commencé par la mode. Puis, mon ami et collègue Keneth Hope m’a offert le livre The Americans de Robert Frank. Il m’a vraiment impressionnée. Ce que j’aime dans ses images ? La crudité, l’honnêteté et l’absence totale de vanité. J’ai donc abandonné la mode et j’ai commencé à travailler pour des journaux et magazines. Après quelque temps, j’ai ressenti le besoin d’apporter une certaine profondeur à mon œuvre, et j’ai commencé à couvrir des sujets plus larges : j’ai publié, par exemple, un livre sur une mère migrante, en Hollande, Vrouwen te Gast. Il traite des femmes venues des milieux ruraux du nord de l’Afrique, qui sont complètement isolées dans nos sociétés occidentales. J’ai ensuite réalisé d’autres ouvrages, notamment sur l’ancienne Union soviétique : A Hundred Summers A Hundred Winters, qui a gagné de nombreux prix, sur la Chine (East Wind, West Wind), ou encore les Appalaches (Moonshine).

En 2020, une exposition présentant mes différents travaux a été accueillie par le Stedelijk Museum d’Amsterdam. Un ouvrage rétrospectif sera publié en 2021 par MACK.

Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ?

Oui, et pourtant beaucoup d’hommes savent aussi photographier d’une manière subtile, avec plus d’empathie et d’intérêt. En général, il est plus facile pour une femme d’approcher les gens, de gagner leur confiance, de creuser, de ressentir et de comprendre ce que l’on ne dit pas. Cette manière de travailler provient souvent d’un besoin ressenti par les femmes. Un besoin que moi-même, je ressens.

Est-ce que votre statut de femme a/a eu une influence sur votre statut d’artiste ?

Pour moi, cela a été plus facile. Je n’ai personnellement jamais connu les effets négatifs d’être une femme. Une fois, alors que je commençais à travailler pour un magazine en tant que photographe documentaire, je m’étais sentie intimidée par tous les hommes et leurs collections impressionnantes de boîtiers, moi qui n’étais venue qu’avec un Nikon et un objectif 50 mm. Nous attendions tous de rentrer dans une pièce, un par un, pour faire le portrait de l’écrivaine Doris Lessing. Chacun disposait de deux minutes pour prendre sa photo. J’étais terriblement nerveuse mais, lorsque mon tour est venu, Doris Lessing a commencé à me parler, me poser des questions pour me calmer. J’ai pu prendre mon temps pour faire son portrait.

Vivez-vous de votre art ?

En partie.

Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?

Mes auteurs favoris sont les écrivains russes. J’admire aussi beaucoup une femme photographe d’origine russe et tatare : Ljalja Kuznetsova.

J’aime lire l’écrivain français Kamel Daoud pour ses descriptions aussi sensibles et subtiles que réalistes et fortes du désert, de la chaleur, de la tension, des pensées et émotions de ses sujets.  On pourrait d’ailleurs peut-être dire de lui qu’il possède, d’une certaine manière, un regard de femme.

Bertien van Manen

BIO


Née aux Pays-Bas en 1942, Bertien van Manen vit actuellement à Amsterdam. Après avoir commencé sa carrière en tant que mannequin, la photographe est passée derrière l’objectif et a réalisé des photos de mode. En 1976, elle découvre le livre The American, de Robert Frank, qui l’amène vers la photographie documentaire. Travaillant ses sujets en profondeur, avec sensibilité, elle documente les pays de l’Est (A Hundred Summers, A Hundred Winters, 1991), la Chine (East Wind, West Wind, 2001) ou encore les Appalaches (Moonshine, 2014). Exposées pour la toute première fois à la Photographer’s Gallery de Londres, en 1977, ses œuvres font aujourd’hui partie de nombreuses collections. Parmi elles, le MoMA à New York, la Swiss Foundation for Photography, le Metropolitan Museum of Photography de Tokyo ou encore le Rijksmuseum d’Amsterdam.

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