ELLES X PARIS PHOTO - ANNA MALAGRIDA 

GALERIE RX

“La cohabitation de la maternité et du développement d’une carrière professionnelle est au cœur des questionnements de la femme dans notre société.”

Comment en êtes-vous venue à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ? 

Mon expérience du monde est très liée au regard, l’acte de voir établit en quelque sorte notre place dans le monde qui nous entoure. J’utilise des images souvent comme des métaphores et c’est de cette confrontation au réel que naît mon travail. Je travaille beaucoup avec la vidéo aussi. Il s’agit souvent de plans fixes qui laissent passer le temps, le résultat est très photographique. L’expérience de l’exposition est fondamentale. Il m’est important de me confronter aux images – à leur contenu comme à l’objet même. Les vidéos sont souvent construites comme des installations à part entière. Je conçois l’exposition comme une expérience totale. Je préfère ainsi l’espace d’exposition au livre, et ceci m’éloigne d’une certaine pratique photographique qui trouverait dans la publication son espace de prédilection.

Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ? 

Mon travail naît d’une façon assez organique. Ce sont les questions liées à mon entourage personnel ou à mon vécu qui dirigent mon regard vers le monde et la société. Mon travail se situe dans cet aller-retour entre ces questions. Il m’est toujours difficile d’adopter une position définitive face à ce qui fait débat, et mon travail naît dans cet espace de doute. La vidéo a dans ce sens un rôle très important. Elle peut, par le mouvement, exprimer une idée et son contraire. La création me permet d’appréhender le monde et l’autre en développant une pensée complexe refusant les simplifications menant vers des positions radicales ou extrêmes. J’apprécie les nuances.

Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ? 

Je reconnais que le regard d’une femme – photographe ou non – face à la vie, ses priorités et ses engagements, peut être distinct de celui d’un homme. La relation qui se crée entre l’espace intime et l’espace public est en ce sens fondamentale. On pourrait ici reconnaître un regard plus féminin, mais ce n’est bien sûr qu’une généralité qui laisse la place à toutes les exceptions. Reconnaître un tel regard revient à réduire les regards individuels à une catégorie de genre, ce qui n’a aucun sens. Mais j’entends les mots – féminin et masculin – plutôt comme deux opposés faisant apparaître un espace entre les deux qui n’est pas vide, mais fait de subtilités. Cela serait un jeu de devinettes que d’imaginer le genre qui se cache derrière une œuvre.

Votre statut de femme a-t-il, ou a-t-il eu, une influence sur votre statut d’artiste ? 

Dans un premier temps, mon statut de femme n’a pas généré un questionnement particulier. C’est plus dans l’expérience de femme artiste et mère de famille que certaines questions ont émergé. Je me suis interrogée sur l’engagement que ces deux rôles impliquaient. Mais finalement, je ne suis pas sûre que le monde de l’art soit si différent des autres domaines. La cohabitation de la maternité et du développement d’une carrière professionnelle est au cœur des questionnements de la femme dans notre société. Comment concilier et ne pas délaisser l’un des deux ? Doit-on faire un choix ? Le fait de devoir faire ce choix est la vraie différence avec l’expérience des hommes. D’un autre côté, la maternité m’a offert des expériences qui ont nourri mon travail d’artiste.

Vivez-vous de votre art ? 

Il y a eu des périodes où effectivement je vivais exclusivement de mon art et c’était ma seule activité. Mais la photographie m’a donné cette flexibilité et liberté de pouvoir alterner mon travail d’artiste avec des commandes. J’enseigne aussi et je trouve que l’enseignement est une pratique très complémentaire et enrichissante.

Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?

Au début, ce sont plutôt des peintres qui m’ont inspirée : Edward Hopper puis Gerhard Richter entre autres. Ma tante, Anna Miquel, qui était peintre et réalisatrice de cinéma d’animation a également beaucoup compté pour moi dans mes premières années. J’ai découvert plus tard les vidéos de Shirin Neshat et les sculptures et installations de Mona Hatoum, leur écriture développait une ambivalence de sens qui rendait leurs œuvres extrêmement puissantes. Elles posent des questions, elles dénoncent, mais leur écriture est très poétique. Et leur engagement devient encore plus percutant. Elles ont beaucoup compté par la suite.

Anna Malagrida

BIO


Née à Barcelone en 1970, Anna Malagrida vit et travaille à Paris. Diplômée de l’École Nationale Supérieure de Photographie d’Arles après des études de journalisme à Barcelone, elle développe un travail photographique et vidéo d’une grande cohérence. Son regard se situe souvent dans des espaces de l’entre-deux, des limites et des frontières. L’artiste aborde des sujets sociétaux et interroge notre perception. Lauréate du prix au Projet des Rencontres internationales de la Photographie en 2005, elle obtient la bourse de la Fundación Arte y Derecho en 2006, et est lauréate de la Carte Blanche PMU / Centre Pompidou en 2016. Exposée en France et à l’international (Espagne, France, Afrique du Sud, Allemagne, Danemark…), son œuvre a rejoint de nombreuses collections publiques et privées (Centre Pompidou, le Wolfsburg KunstMuseum, MAGASIN 3, Stockholm Konsthall, Fonds National des Arts Plastiques, MACBA de Barcelone, la Fondation MAPFRE, …).

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