ELLES X PARIS PHOTO - ANDREA OSTERA 

GALERIE TOLUCA 

“Je voudrais pouvoir mettre un terme à la tyrannie du regard.”

Qu’est-ce qui vous a amenée à la photographie ? Vous définissez-vous comme photographe ? 

La photographie est arrivée dans ma vie sous la forme d’un cadeau : mes parents m’ont offert un petit appareil compact pour mes 10 ans. J’ai commencé à l’utiliser pendant les vacances, lors d’événements familiaux. Lorsque mon boîtier a cessé de fonctionner – deux ans après ma première photographie – je l’ai démonté pour découvrir ce qui se cachait à l’intérieur et essayer de comprendre comment les images se créaient. Cette curiosité pour le medium ne m’a jamais quittée.

Cependant, ma véritable relation avec le 8e art a débuté quelques années plus tard, lorsque j’ai quitté ma ville de naissance pour commencer mes études supérieures à Rosario City (Argentine). Dans ce contexte si différent, j’ai commencé à me servir de la photographie comme d’un outil pour explorer ce nouvel espace et ma propre évolution. Ce qui était au départ un simple intérêt pour la pratique photographique est devenu une véritable passion – qui m’a ensuite ouvert les portes du monde de l’art. Je ne me suis jamais sentie partagée entre mon statut d’artiste et celui de photographe. Je me considère comme une artiste visuelle, travaillant avec le medium photographique.

Quels sont vos engagements dans votre pratique photographique ?

Le thème principal de mon travail est la photographie en elle-même. J’étudie ses matériaux, ses pratiques. J’examine son histoire et j’interroge son présent. J’explore ses limites, et je prends en compte son territoire non délimité. Ces dernières années, j’ai réalisé des travaux qui traitent de la rencontre entre des paradigmes analogues et numériques.

Est-il légitime de parler d’un regard de femme dans la photographie ? Vous sentez-vous concernée ?

Ce n’est pas une question facile. Je crois que les catégories sont des outils que nous sommes libres d’utiliser pour étudier une œuvre. En ce sens, le regard de femme pourrait être un précieux concept, qui aiderait à comprendre la photographie documentaire ou narrative, réalisée par des femmes – d’autant plus lorsque celle-ci traite de la représentation des femmes dans la société patriarcale.

Cependant, je trouve ce concept problématique : qu’est-ce qu’un regard de femme ? Peut-on éviter une généralisation lorsqu’on le définit ? Est-il possible d’en tracer les contours sans tomber dans une vision stéréotypée qui remettrait en cause sa qualité ? Je voudrais pouvoir mettre un terme à la tyrannie du regard. Le corps entier est impliqué dans la création d’une œuvre d’art, et la domination du regard sur les autres sens me laisse sceptique.

Je me définis comme féministe – je le suis aussi dans ma pratique artistique (en tant que professeure, en tant que membre du collectif féministe Camarada, etc.) –, mais je n’exige pas que cette facette de moi soit présente dans mes créations. Cela vient sûrement du fait que mon travail est conceptuel et souvent abstrait. Ainsi, il est plus difficile d’avoir recours au “regard de femme”.

Est-ce que votre statut de femme a/a eu une influence sur votre statut d’artiste ?

Beaucoup de statistiques et des milliers d’histoires témoignent des difficultés endurées par les femmes lorsqu’elles souhaitent faire carrière dans le monde de l’art. Historiquement, la reconnaissance des œuvres des femmes artistes a toujours été limitée et insuffisante – heureusement, cela commence à changer dans certaines parties du monde.

Mais ma propre expérience a été tout à fait différente : je suis l’exception qui confirme la règle. Depuis le début de ma carrière, je me suis toujours sentie acceptée dans les projets, expositions et bourses. Si je devais élucider ce mystère, je dirais que dans les années 1990, le monde de l’art a considérablement changé et s’est ouvert à de nouveaux acteurs, de nouvelles disciplines. À cette époque, j’avais trois choses précieuses à offrir : j’étais une jeune femme dans un monde dominé par des hommes plus âgés ; j’étais photographe et le medium commençait tout juste à être reconnu par les musées d’art contemporain et les galeries ; et je n’habitais pas à Buenos Aires, à un moment où l’Argentine souhaitait mettre en lumière des artistes de province.

Vivez-vous de votre art ? 

Non. Je gagne ma vie en enseignant à l’Escuela Musto, une école d’art publique.

Quels sont les auteur(e)s qui vous inspirent ? Parmi eux/elles, y a-t-il des femmes photographes ?

Les artistes qui m’inspirent sont souvent des gens que je connais, des amis, et fréquemment des femmes. Ce qui m’émeut, ce n’est pas seulement leurs travaux, mais comment ils en sont arrivés là. Je suis touchée par leur façon de gérer les difficultés, les problèmes, les budgets parfois faramineux, leur manière de se battre pour des idées, de croire en leurs rêves.

Si je devais citer des femmes inspirantes qui travaillent avec le medium photographique, je dirais Laura Glusman, Claudia del Río, Rosana Schoijett, ainsi que mes partenaires du collectif Camarada, María Crosetti, Cecilia Lenardón, Gabriela Muzzio et Paulina Scheitlin.

Andrea Ostera

BIO


Originaire de Salta Grande, un village de la province de Santa Fe, en Argentine, Andrea Ostera (1967) a étudié le 8e art au Centre international de photographie de New York. Une fois diplômée, elle déménage à Rosario, dans son pays natal, et démarre son premier projet au long cours dans lequel elle expérimente avec des planches contact et des projections d’objets sur des matériaux sensibles. En 1994, elle présente ce travail lors d’une exposition intitulée Ritual de lo habitual. Si l’investigation du médium photographique, de ses possibilités et de ses frontières est au cœur de ses travaux, l’artiste ne se limite pas à la création. Enseignante dans une école d’art publique, elle fut également curatrice du programme de photographie émergente du Centre des Expressions contemporaines à Rosario, de 2005 à 2013, et membre du collectif féminin Camarada, depuis 2019.

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